Une nouvelle mode de loisirs a envahi la capitale russe. Les quêtes – квесты (kvesty) sont des casse-têtes grandeur nature, qui vous mettent au défi de sortir d’une pièce en moins d’une heure en résolvant une série d’énigmes – загадки (zagadki) et de problèmes logiques. Chaque quête a un scénario et vous plonge dans un univers particulier. La première à s’être installée à Moscou a pris le thème peut être le plus familier pour les Russes, l’appartement soviétique – совесткаяквартира (saviétskaya kvartira). Une fois la porte poussée, on fait un bond de 50 ans dans le passé pour se retrouver dans un intérieur typiquement soviétique.
Ici c’est un décor, mais chez de nombreux Russes c’est le quotidien. Et même si l’appartement communautaire – коммуналка (kamounalka)) n’est plus qu’un lointain souvenir et si l’heure est à la rénovation d’appartements « à l’européenne » – евроремонт (Yévrorémonte)) pour beaucoup l’appartement soviétique reste une réalité.
Pour en trouver un exemple, ne perdez pas votre temps à chercher dans les gratte-ciel – небосреб (niébaskriop) de Moskva-city, mais explorez plutôt un de ces immeubles construits à la chaîne, symboles de l’urbanisme des périodes Khrouchtchev et Brejnev. Nikita Sergueïevitch a même laissé son nom à ce type de bâtiment : khrouchtchovka – хрущевка. L’un en tout point similaire à l’autre, de cinq à une dizaine d’étages, construits en briques, sans fioriture ni artifice, ces bâtiments sont l’écrin parfait pour notre appartement soviétique.
Imaginez une entrée – подъезд (padiézd) et ses alignements de boîtes aux lettres – почтовыеящики(patchtovye yachtchiki), on prend l’ascenseur qui s’arrête entre les étages, on passe le vide-ordures – мусоропровод (moussarapravôt), et nous voilà déjà sur le palier – площадка (plachtchadka), devant la lourde porte.
Franchi le seuil, on se déchausse et on enfile les chaussons – тапочки (tapotchki). A l’intérieur, le temps semble s’être figé quelque part dans les années 70 – семидесятыегоды (sémidissiatye gody). Des papiers peints à fleurs – цветочныеобои (tsvetotchnye abaulli), différents dans chacune des pièces, habillent les murs et donnent à l’ensemble un aspect de jardin botanique quelque peu défraichi.
Le salon – гостиная (gastinaya) est la pièce la plus grande. Un « mur de meubles » – стенка (stiénka) en occupe tout un côté. Il s’agit d’une subtile combinaison de penderies – гардероб (gardérob), de placards – шкаф (chkaf) et autres vaisseliers – сервант (servante). On y découvre une collection de vaisselle – посуда (passouda) dépareillée et de figurines en porcelaine – фарфор (farfore), une série de petits verres à vodka – рюмки (rioumki), ainsi que la plupart des classiques de la littérature russe et étrangère dans de vieilles éditions reliées (avec toujours une traduction russe d’un Simenon – Сименон, d’un Jules Vernes – ЖюльВерн ou d’un Hugo – Гюго), des albums aux photos jaunies et tout un indéfinissable bric-à-brac.
Sur un des murs, vous trouverez obligatoirement un tapis – ковер (kavior) aux motifs bariolés dont l’emplacement insolite a le mérite de ne pas l’user. L’appartement soviétique est le paradis du motif et les rideaux – шторы (chtory) ne sont, bien sûr, pas en reste.
Le balcon – балкон (balkon) peut servir d’entrepôt ou de jardin d’hiver quand il est couvert. Le plan général de l’appartement peut dérouter et un salon immense peut jouxter une chambre à coucher – спальня (spalnia) étriquée où le lit est trop grand pour une personne mais trop petit pour deux. De même, on trouve souvent le frigo – холодильник (khaladilnik) dans l’entrée ou la machine à laver – стиральная машина (stiralnaya machina) dans la cuisine – кухня (koukhnia).
La cuisine, justement, est le point névralgique de l’appartement soviétique, où se déroulent et se dénouent les histoires, les joies et les peines, où l’on discute pendant des heures – часами (tchassami) et à toute heure en buvant du thé.
Quelques plantes vertes agrémentent le rebord de la fenêtre – подоконник (padakonnik) parfois squatté par le chat de la maison. Le chauffage central – центральноеоттопление (tsentralnoïé ataplénié) qu’on ne peut régler, surchauffe l’atmosphère et oblige à laisser ouverte la petite fenêtre de ventilation aménagée dans le coin de la fenêtre principale – форточка (fortotchka).
L’appartement soviétique a une place particulière dans l’imaginaire russe, et sa seule évocation renvoie à tout un univers, familier et commun à tous. Il a joué un vrai rôle dans la vie des Russes et même jusque sur les écrans de cinéma, comme dans le film l’Ironie du sort – ирониясудьбы (ironia soudby) où le héros moscovite, légèrement grisé, se retrouve à Saint-Pétersbourg mais ne s’en rend pas compte car il existe dans les deux villes une même rue, un même immeuble et un appartement (soviétique) en tout point identique – идентичный (idéntitchny). Un personnage à part entière. Rassurez-vous, même si vous ne trouvez pas la solution de l’énigme, cette quête vous aura permis une rencontre avec ce passé– прошлое (prochloïé), commun à tant de Russes.