Tous les étrangers – иностр́анцы (inastrantsy) qui apprennent le russe en conviennent, cette langue – язы́к (yzyk) que partagent près de 170 millions de personnes est belle. Remarquable par ses sonorités – звуча́ние (zvoutchanié), elle l’est aussi par son alphabet – алфави́т (alfavit) si particulier. Mais d’où vient-il ? Le CREF vous propose un bref retour aux sources.
Comme souvent, la langue a préexisté à l’alphabet et chaque peuple slave – славя́нский наро́д (slavianski narod) avait son dialecte – диале́кт (dialecte). Le premier alphabet cyrillique est créé vers 860, soit un peu plus d’un siècle avant la christianisation de la Russie. Elle est l’œuvre de deux saints, Cyrille et Méthode – Кири́лл и Мефо́дий (Kiril i Méfodi), deux frères – бра́тья (bratia) originaires de Thessalonique, ville appartenant à l’époque à l’empire byzantin, où l’on parlait le grec et un dialecte des slaves du sud.
Cyrille fut envoyé comme missionnaire orthodoxe en Moravie (dans l’Est de l’actuelle république Tchèque) pour enseigner- учи́ть (outchit’) les Écritures en langue slave. C’est à cette fin qu’avec son frère et leurs étudiants, il traduisit les livres servant au culte – богослуже́бные кни́ги (bagasloujebnyé knigui) dans un alphabet inspiré du grec. Pour cela, il eût besoin de construire un abécédaire – а́збука (azbouka).
Chaque lettre – бу́ква de l’alphabet russe correspond à un mot – сло́во (slova). Ainsi, les trois premières lettres, А Б В correspondent à « Aзъ Буки Веди », en russe d’aujourd’hui « я бу́квы зна́ю » (Ya boukvy znayou) – « je sais les lettres ». L’alphabet entier est une forme d’hommage à l’apprentissage – уче́ние (outchénié), à la connaissance – зна́ние (znanié), au raisonnement – ра́зум (razoum) et au Seigneur – Госпо́дь (Gaspod’).
Lorsque la Russie se christianise grâce à Vladimir en 988/989, l’Église russe va être le moyen privilégié de diffusion – распростране́ние (rasprastraniénié) de l’alphabet. Bien plus tard, l’alphabet russe va connaître deux réformes – рефо́рмы (réformy). Vous serez ravis d’apprendre qu’elles ont fortement simplifié l’écriture de cette belle langue !
La première grande réforme, la plus radicale sans doute, date de Pierre le Grand – Пëтр Вели́кий (Piotr Véliki), en 1708. Il supprime certaines lettres qu’il juge inutiles – бесполе́зные (biéspaliéznyé), il modifie la forme de certaines lettres pour se rapprocher de l’alphabet latin. Mais deux ans plus tard, il en rétablit quelques-unes et le nouvel alphabet est définitivement adopté en 1710. Il est baptisé « grajdanitsa » – гражда́ница, du mot « citoyen » – граждани́н (grajdanine), pour le différencier de celui de l’Église qui lui, ne changera pas. Fait intéressant, en 1783, ce qui auparavant s’écrivait « IO » devient « ë » (prononcer très vite « io ») sous l’impulsion de la princesse Dachkova, créatrice de l’Académie impériale russe et proche de l’impératrice Catherine II.
La réforme de décembre 1918 va plus loin dans la simplification – упроще́ние (ouprachtchénié). Le décret – ука́з (oukaze) imposant son adoption pour tous les livres imprimés est signé par un homme qui a sauvé une grande partie du patrimoine – достоя́ние (dastayanié) de la Russie après la Révolution bolchévique, Lounatcharski. Mais le contenu de la réforme n’est pas l’œuvre du nouveau pouvoir soviétique. Il s’agit d’une réforme élaborée à partir de 1904 et qui avait commencé d’être adoptée dès 1911 par le régime Tsariste et son Académie des sciences – Акаде́мия нау́к (Académia naouk), sous la direction d’un certain Chakhmatov. Disparaît notamment le signe dur « ъ » – твëрдый знак (tviordy znak), qui était obligatoire après certaines consonnes – согла́сные (saglasnyé) pour indiquer leur prononciation – произноше́ние (praiznachénié). On procède aujourd’hui par déduction, en fonction, par exemple, de la voyelle – гла́сный (glasnyi) qui suit. Aujourd’hui, certaines entreprises utilisent ce signe pour apporter une touche « vintage » à leur image de marque. On a ainsi fait revivre le fameux restaurant français Yar – Яръ, en ajoutant le signe dur qu’il arborait avant 1918 et qui est aujourd’hui superflu.
Mais il est un signe qui n’est pas dans l’alphabet et qui, pourtant, tient une place déterminante : c’est l’accent – ударе́ние (oudarénié). Paradoxalement, Il n’est pratiquement jamais indiqué car les russophones – русскоязы́чные лю́ди (rouskoyazitchnyé lioudi) savent où il se trouve. Ou croient savoir, car en réalité, beaucoup se trompent. Il existe même un jeu – игра́ (igra) qui consiste à faire deviner où est l’accent.
L’accent influence directement la façon de prononcer les voyelles. Le mot « chien » est l’erreur orthographique courante des jeunes écoliers russes. Ils l’écrivent généralement comme ils l’entendent : *сабака , alors qu’on écrit соба́ка (sabaka). On voit ici comment un «o » s’ouvre dès qu’il n’est plus sous l’accent. On dit même qu’il se réduit, car plus il est loin, plus il « perd » en intensité : dans le mot lait – молоко́ (malako), le premier « o » se prononce presque comme un « eu » français. Les spécialistes disent que le son est plus proche du « ы » russe à cet endroit.
Au CREF, nous accordons une grande importance à l’expression orale – у́стная речь (oustnaya riétch), c’est pourquoi, dans les articles que nous vous proposons chaque mois, nous avons renoncé à la transcription internationale. En effet, cette transcription utilise un ensemble de signes qu’il faut apprendre, comme le « č » ou « š ». Il nous a semblé plus important d’utiliser les lettres qu’on utilise en français pour faciliter la lecture et la compréhension orale et de nous rapprocher le plus possible de la prononciation réelle.