Si vous venez faire un stage au CREF pendant les beaux jours, vous assisterez sans aucun doute, dans les parcs de la ville, à un phénomène étonnant. Dès que la neige commence à fondre et que l’air se réchauffe, on voit partout des groupes d’amis ou des familles autour de barbecues portatifs. À certains endroits il y en a tant que l’air s’emplit d’une brume (тума́н – touman) qui donne un air très romantique. Vous l’avez compris, un pique-nique (пикни́к – pique-nique) sans brochettes (шашлыки́ – chachlyki), c’est niet ! Comme les bains russes ou la cueillette des champignons, l’art du «chachlyk » fait partie intégrante de la culture populaire russe. Plus qu’une culture, c’est un univers. On trouve même, sur l’Internet russe, l’encyclopédie de la brochette (шашлы́чная энциклопе́дия -chachlytchnaya entsiklapédia), c’est dire ! Le CREF vous livre ici, avec les mots qu’il faut, une recette (рецепт – rétsépt) qui a fait ses preuves et pourra vous attirer l’estime de vos amis russes si vous les invitez à un barbecue (пригласить на шашлыки́ – priglassit’ na chachlyki).
Le mot chachlyk vient du turc, mais plutôt que la viande de mouton (бара́нина – baranina), on utilise en Russie volontier de la viande de porc (свини́на – svinina) ou de bœuf (говя́дина – gaviadina) ou encore de la volaille (куря́тина – kouriatina). Un sondage mené en septembre 2017 révèle même que les Russes utilisent désormais plus de volaille que de porc ou de bœuf pour leur met préféré de l’été. Le mouton commence depuis quelques années seulement à gagner ses lettres de noblesse (всео́бщее призна́ние – vsiéobchtchéé priznanié).
Les brochettes végétariennes (вегетариа́нские – véguétarianskyé) et celles de poisson (ры́бные – rybnyé) existent, mais ce sont bien les brochettes de viande qui déchaînent les passions, notamment dans les discussions sur la meilleure recette possible, qui foisonnent sur Internet. Si la qualité (ка́чество – katchestva) de la viande a son importance — les aficionados (любители – lioubitiéli) l’achèteront seulement au marché – na rynkié) — la clé du succès des brochettes est la marinade (маринад – marinad), objet de débats enflammés (о́стрые деба́ты – austryé débaty), oserons-nous dire. Huile de tournesol (подсо́лнечное ма́сло – padsolnetchnoyé masla) ou d’olive (оли́вковое – alivkavayé) ? Saler (солить – salit’) ou ne pas saler ? Poivre moulu finement (мелькомоло́тый пе́рец – mielkamaloty périéts) ou grossièrement (крупномоло́тый пе́рец – kroupnamaloty périéts) ? Voici donc nos conseils.
Avant de préparer la viande, il faut la couper en morceaux (наре́зать кусо́чками – nariézat’ koussotchkami) ni trop épais (не слы́шком то́лстые – nié slychkom tolstyé), ils doivent pouvoir cuire harmonieusement, ni trop fins (не слы́шком то́нькие – nié slychkom ton’kié), ils doivent s’embrocher facilement. On ne retire pas trop de graisse (са́ло – sala), car elle participe à la cuisson. Enfin, il faut bien la sécher car le barbecue n’aime pas l’eau.
Nous avons lu sur le blog d’un spécialiste qui a pesé chaque gramme de ses brochettes, que l’ajout de sel ne retire aucun jus à la viande crue. En revanche, saler après avoir fait mariner ou pendant la cuisson ne donne pas le temps au sel de pénétrer la viande. Sur ce chapitre, donc, le débat est clos (спо́рить не́ о чем – sporit’ nié a tchème). Les épices (специи – spétsii) à ajouter sur la viande doivent l’être dans l’ordre suivant (в сле́дующем поря́дке – v sliédouyouchem pariadkié) : du poivre noir moulu grossièrement, des graines de coriandre (семена́ кориа́ндра – séména kariandra), du basilic (базили́к – basilik) (savez-vous que le basilique en Russie est le plus souvent de couleur violette ?), du thym (тимья́н – timian) souvent appelé чабре́ц – tchabrets), du cumin (куми́н – koumine) aussi appelé зи́ра – zira), des feuilles de laurier (лавро́вый лист – lavrovy list), du paprika (паприка – paprika), de l’oignon (лук репчатый – louk reptchaty).
Ensuite, on l’a vu, il y a les partisans (сторо́нники – staronniki) de l’huile d’olive et ceux de l’huile de tournesol. Ces derniers semblent les plus nombreux et leur principal argument est que l’huile d’olive n’aime pas trop la friture. À vous de décider, mais la tradition penche aussi pour l’huile de tournesol, plus répandue (распространена́ – rasprastraniéna) en Russie.
Une fois l’huile ajoutée, vous pourrez ajouter le jus d’un citron (сок лимо́на – sok limona), mais pas de vinaigre (у́ксус – ouksous).
La viande ainsi préparée (подгото́влена – padgatovliéna) doit ensuite être gardée au frais et idéalement, la viande doit être compressée par quelque chose de lourd. Il faut laisser mariner (маринова́ть – marinavat’) une nuit, mais si vous achetez de la viande très fraîche (све́жее – sviéjéé) le matin et que vous la faites mariner tout de suite, vous pouvez préparer vos brochettes le soir-même. Il est conseillé d’embrocher votre viande sur les brochettes (шампуры́ – champoury) à la maison. D’un autre côté, on conseille aussi de passer les pics au feu afin qu’en traversant la chair, ils la cautérisent et empêchent ainsi le jus (сок – sauk) de s’écouler. Dilemne (диле́мма – diléma) !
Tout cela vous a mis en appétit ? Patience : pour des brochettes réussies, le barbecue (манга́л – mangal) joue aussi un rôle important. Bien sûr, vous ne faites pas partie de ces novices qui croient que n’importe quelle boite de métal fera l’affaire ! Le barbecue doit avoir des trous d’aération et d’aspiration en qualité et quantité suffisante, mais point trop, et avec des parois épaisses pour que la chaleur profite à la cuisson et ne s’échappe pas. Enfin, on ne grille pas sur du feu (ого́нь – agogn), mais sur des braises (кра́сные угли́ – krasnyé ougli).
Il vous faudra ensuite trouver l’endroit idéal (идеа́льное ме́сто – idéalnoïé miesta) pour votre barbecue, si vous n’avez pas de jardin. Les citadins se retrouvent volontiers dans les parcs pour faire griller leurs brochettes. Afin d’éviter une amende (штраф – chtraf), choisissez un endroit dédié (специа́льно отведëнное ме́сто – spétsialno otvedionnoyé miesta) et arrivez tôt, car ces endroits sont très prisés (востре́бованы – vastriébavany) !
Pendant la préparation, on peut sortir sur la nappe du pique-nique les légumes frais (све́жие о́вощи – svéjyé ovachtchi) ou salés et les herbes fraîches (зе́лень – zélién) qui accompagneront vos brochettes. Les spécialistes déconseillent fortement les petits pâtés (пирожки – pirajki) et autres mets consistants, la brochette devant être la reine du festin. Si vous n’êtes pas sûr de votre coup, vous pouvez quand même prévoir un plan B…
Pour faire de vous un chachlytchnik (шашлы́чник (et oui, ce mot existe) professionnel, il vous faut prendre possession du barbecue, contrôler les braises, éteindre les flammes et ne laisser approcher personne jusqu’à ce que la viande soit cuite, en russe on dira jusqu’à ce qu’elle soit prête (до гото́вности – da gatovnasti). On dit que la viande d’une bonne brochette ne doit pas être brûlée (подгоре́лая – pragariélaya), même sur les côtés, ni fumée (копчëнная – kaptchionnaya). Le thème du fumage (копчение – kaptchénié) est un autre chapitre de la culture russe. Et lorsque vous viendrez servir votre première fournée de brochettes, vous aurez sans doute votre heure de gloire, enfin !
Mais attention, pendant le Championnat de football de la Fifa, il paraît que certaines régions, soucieuses de renforcer la sécurité publique, ont décidé d’interdire les barbecues en pleine nature (на приро́де – na prirodié), ce qui ne cesse de bouleverser la blogosphère des « chachlytchnikis », donc soyez attentifs à la législation et, nous l’espérons, bonne dégustation !